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Les Trois Mondes
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21 février 2010

Le langage codé

Leslie, une amie du grand nord(le Canada) nous transmet ce texte qui doit donner à réflechir. Attention au dogmatisme, aux doctrines qui fleurissent par ci, par là, à la façon dont on nous présente les choses. Sachons toujours garder notre lucidité. L'histoire de Sogyal Rinpoché et tous les commentaires que cela a pu entraîner en est un bon exemple.

QUEBEC
Le vieux Quebec sous la neige

Le langage codé
Dr Robert Jay Lifton, La réforme de la pensée et la psychologie du totalitarisme :

Le langage codé

Dans le langage de l'environnement totalitaire, le cliché est roi. Les problèmes humains les plus complexes sont réduits à quelques phrases courtes, péremptoires, faciles à se rappeler et à répéter. Elles sont le commencement et la conclusion de toute "analyse idéologique". Le cliché a l'avantage de dispenser de toute discussion réelle, de l'exploration d'interprétations diverses, de toute réflexion et expression personnelles.

Les clichés ne sont pas seulement des raccourcis, mais ils sont polarisés, avec des charges émotionnelles positives ou négatives : il y a les termes qui représentent le bien, et ceux qui représentent le mal, le diable. Ce "langage de la non pensée", très caractéristique, est affreusement ennuyeux pour tous ceux qui ne le partagent pas. Il rend aussi très reconnaissable un membre de groupe totalitaire.

Bien sûr, tout groupe possède, dans une certaine mesure, son jargon propre : famille, école, profession, etc. Certaines expressions sont des signes de reconnaissance ; mais cela n'empêche pas les membres de ces groupes (un individu peut d'ailleurs appartenir à plusieurs) d'être également à l'aise dans le langage général. Dans le groupe totalitaire, le jargon devient exclusif, il exprime les certitudes de la "science sacrée", les renforce ; les expressions-clefs déclenchent les émotions, positives ou négatives, voulues par les manipulateurs.

Pour l'individu, ce langage a pour effet un rétrécissement ("constriction"), un appauvrissement, une amputation linguistique. Or, le langage et sa richesse sont la base même de l'expérience humaine, et amputer le langage, c'est supprimer des pans entiers de la capacité de penser et de sentir, même si l'individu ne s'en rend pas compte, et même s'il y prend du plaisir, car il ressent ainsi son appartenance au groupe, en dehors duquel il ne veut plus exister. C'est aussi un lien très fort avec le groupe, car le monde extérieur lui devient étranger. Il devient même étranger à lui-même, à son propre passé, à tout ce qui a fait qu'il est devenu ce qu'il est : il n'arrive même plus à se représenter son "ancienne vie" - et d'ailleurs il n'en a pas envie : il sent bien que cela pourrait constituer pour lui un danger.

Cette manipulation du langage pourrait faire l'objet d'une étude spéciale, car elle est fondamentale : c'est le mur le plus apparent entre les adhérents d'une idéologie totalitaire et le reste de l'humanité. C'est d'ailleurs souvent ce qui est ressenti d'abord par "les autres" (ceux qui sont à l'extérieur du système totalitaire). "Quand on a utilisé si longtemps les mêmes modèles d'expressions... on se sent enchaîné".

La doctrine au-dessus de la personne

Ce langage stérile reflète aussi la subordination de l'expérience humaine aux exigences de la doctrine : l'expérience personnelle, les sentiments sont continuellement canalisés, mis dans un moule abstrait d'interprétation, les sentiments devant correspondre au catalogue officiel.

Les mythes eux-mêmes utilisent et renforcent des sentiments existants, parfois sous-jacents, et qui peuvent être justifiés. On élimine ce qui ne cadre pas avec la doctrine, ou en le réinterprétant.

Quand le mythe fusionne avec la "science sacrée" totalitaire, la "logique" qui en résulte peut purement et simplement éliminer et remplacer la réalité : celle de faits collectifs, même récents, mais aussi celle de l'expérience individuelle.

C'est ainsi que l'individu refait son passé pour complaire à ses maîtres, réinterprète toute sa vie, et celle de sa famille. Il faut que le caractère et l'identité soient remodelés, non pas en accord avec la nature et les potentialités de chacun, mais pour les couler dans le moule rigide de la doctrine. Camus dit que "les bourreaux philosophes et le terrorisme d'État... mettent au-dessus de la vie humaine une idée abstraite, même s'ils l'appellent histoire, à laquelle, soumis d'avance, ils décideront, en plein arbitraire, de soumettre aussi les autres...".

Le postulat est que la doctrine - y compris ses éléments mythiques - est plus valable, plus vraie, plus réelle que tout aspect du caractère humain réel, ou de l'expérience humaine. Et si la doctrine est contredite par les événements, on changera les événements plutôt que la doctrine - ils seront minimisés, niés, ou ignorés. De même pour des individus, qui iront jusqu'à accepter de réinterpréter leurs actes et leurs attitudes pour coïncider avec le personnage qu'ils deviennent, si jamais ils tombent en disgrâce (s'ils n'ont pas la possibilité, ou la force, de sortir du système totalitaire).

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Commentaires
A
Ce passage très éclairant est tiré du livre du dr Lifton: Thought reform and the psychology of totalitaris. Quelqu'un saurez me dire s'il a été traduit en français? Merci à chacun<br /> Fabio
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M
Tu transmets, c'est l'essentiel .<br /> Ou bien tu veux que je t'appelle Eve Lyyyyyyne ?
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M
Bien vu, Leslie, Eve !<br /> Vos paroles se complètent admirablement .<br /> Rien à ajouter ...
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L
Croyance : Une croyance est une chose qui nous tient à cœur parce que nous pensons qu’elle est vraie; les croyances sont généralement inconscientes, acquises par lavage de cerveau parental, socioculturel, religieux, médiatique, etc.
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M
Merci pour tes encouragements, Eve Lyne !
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