Le garçon du Dalou

« Un jambon beurre, et un ! ». Le garçon passe devant moi sans me regarder, un plateau à la main et un long tablier  noué à la taille. Il y a bien vingt minutes que je l’attends pour commander un petit noir. Il semble affairé, remettant une table en ordre, allant et venant entre la salle et le comptoir, disparaissant dans la cuisine. La patronne est installée derrière sa caisse, grignotant les restes d’un sandwich. Je suis au Dalou, un grand café situé place de la Nation. Des habitués sont accoudés au comptoir, lisant leur journal ou discutant entre eux. Il est 10h du matin et le temps avance nonchalant. On sent bien que Paris se met tout doucement en mouvement. Il fait beau, les gens ont envie de flâner et la journée n’a pas encore tout à fait commencé. J’aime bien cette atmosphère parisienne, patinée par le temps, imprégnée de cette odeur du café. Une vieille horloge marque toujours la même heure, figée dans l’éternité.

Je commence à m’impatienter car ce n’est pas la première fois que je viens au Dalou pour prendre un café. Le rite est toujours le même et je sais que, si je ne me lève pas pour demander ma consommation à la patronne, je risque d’attendre fort longtemps. Le garçon passe et repasse devant moi. Je lève le doigt mais il ne me voit toujours pas.

Tout cela me laisse perplexe. Mais pourquoi ne me voit-il pas ? Avec ses petites lunettes sur le nez, il paraît un peu triste et semble vivre dans son monde. On  ne peut pas dire que le Dalou pousse à la consommation. Je soupire et me dirige vers le comptoir pour passer ma commande. J’en conclus que je suis l’homme invisible du Dalou, celui que l’on ne voit jamais.