L'ombre de ma vieillesse
Je reçois une revue trimestrielle, éditée en Belgique qui s’appelle « Itinéraire ». C’est une revue de textes, de réflexions, de création, une revue pour mettre en avant la nouveauté de l’avenir telle qu’elle s’élabore dans les mains de l’artisan, dans les doigts du poète, dans les visions du contemplatif, dans les gestes d’une tendre vigilance. Une revue de petites pierres blanches qui nous conduisent vers la source de l’espoir. Une revue où les textes sont ciselés avec sensibilité et raffinement. Voici un extrait d’un article« Le don de la présence »de Nelly Laurent.
Main dans la main, nous trottinons sur un sentier du parc de la résidence. Le chaud soleil d’août blanchit le sentier où elle dépose ses pantoufles. Deux ombres nous précèdent, stylisant nos contours bien tracés.
Mamydou s’arrête, courbée légèrement vers le sol.
_ Regarde. Voici l’ombre de ma vieillesse.
Sa main quitte la mienne pour saluer nos silhouettes et pousser le palet de l’enfer des ombres au paradis des hautes lumières.
Mais un jeune poirier gardait l’entrée d’un refuge de verdure où la courte promenade nous conduit toujours. D’un tremblement agacé, il a avalé nos ombres et dégorgé un fruit qui roule sous le banc où nous nous installons.
_ Comme la vieillesse fatigue ! Je suis âgée, mais comment te le dire, je ne suis pas encore sèche à l’intérieur. Je ne me sens pas vieille !
Elle baisse ses paupières pour contempler les mots. Sa main abandonnée sur mon genou pèse la légèreté d’un courant frais . Elle me soulage de la pesanteur de mes peurs (comment vais-je la trouver aujourd’hui ?) Mes ombres intérieures s’étirent dans le bruissement filtré des jeux de lumière sous le feuillage ; Je respire profondément, le cœur en fête improvisée. Avant-hier, hier, ce matin encore, je la croyais naufragée. Maintenant, elle se repose à mes côtés, délivrée pour quelques minutes des menaces du réel : sa vie qui s’échappe de partout. Mais les paillettes scintillent sur le foulard fuchsia qui rehausse son chemisier. Une abeille, un papillon jaune, les effluves d’herbes sèchent réveillent les étés de l’enfance. Je les savoure encore sous les picotements de leurs pailles qui agaçaient ma peau tavelée. _ Où sommes-nous, ma fille ? Je ne sais plus tu es près de moi…
Le sourire de maman dodeline en admirant le bleu de son quatre-vingt-huitième ciel d’été.
Qu’importent les galops accélérés de la maladie d’Alzheimer qui s’emballe depuis juillet ! Elle peut exhiber ses cascades burlesques, entarter nos fausses espérances, mettre des bavoirs à ses silences et des langes de papier à son corps épuisé !
Le réel de cette minute de l’an 2000 ?
En la fête de Claire d’Assise, il a posé sa tête sur mon épaule…. Impensable et doux comme la soie de ses cheveux de neige.